L’arrivée de Netflix en France en septembre 2014 est au cœur de toutes les préoccupations de l’audiovisuel français. Ce géant américain, avec son immense catalogue de films et de séries accessible en illimité pour un abonnement de 7,99$ (5,77€) par mois, fait trembler les chaînes qui y voient un agent perturbateur capable de bouleverser tout l’écosystème audiovisuel français. Au-delà des inquiétudes exprimées par les acteurs de l’exception culturelle française, qu’en est-il vraiment ?

 

L’exception culturelle française ou un contexte de fragilité

 

De nombreuses règles régissent l’écosystème audiovisuel français quant à la production et à la diffusion de contenus audiovisuels. Pour ce qui est de la production, les diffuseurs doivent consacrer 10 % de leur chiffre d’affaires au financement de la création audiovisuelle et cinématographique française. Quant à la diffusion, ils doivent d’une part respecter des quotas de diffusion d’œuvres françaises et européennes, et d’autre part se tenir à la chronologie des médias qui impose un délai de trois ans entre la sortie d’un film en salle et sa diffusion en ligne.

 

Le monde audiovisuel français est donc plongé dans un certain conservatisme où l’on continue de maintenir des obligations et contraintes datant de l’ère de l’analogique. Par ailleurs, les effets de la crise économique ne sont pas à négliger. Les recettes publicitaires déclinent et sont partagées entre des acteurs de plus en plus nombreux tandis que le financement de la création diminue.

 

Netflix, une menace venue d’outre-Atlantique

 

« Pirate »1 – tel est le mot utilisé par le PDG de France Télévisions, Rémy Pflimlin, pour qualifier Netflix. Netflix est une chaîne de télévision en ligne qui offre des films et des séries à la demande, visionnables sur ordinateur ou téléviseur, et ceci en illimité pour un abonnement mensuel peu coûteux. Il produit également des séries originales à succès telles que House of Cards et Orange is the New Black et compte déjà 48 millions d’abonnés dans le monde.

 

Netflix va vraisemblablement s’installer au Luxembourg et y proposer ses services vers la France, comme c’est déjà le cas pour le Royaume-Uni, les Pays-bas et la Scandinavie. Il échapperait ainsi aux contraintes et obligations auxquelles sont soumises le monde audiovisuel français tout en opérant en toute légalité, vu qu’il s’agit de services web. La seule obligation qu’aurait Netflix d’acheter les droits des films et séries en France ne constitue pas un frein au vu de son gigantesque budget de droits d’acquisition de 3 milliards de dollars. En outre, en s’installant au Luxembourg, Netflix ne paiera pas la TVA de 20 %.

 

Netflix ferait donc figure de concurrence déloyale envers les acteurs de l’audiovisuel français, puisqu’en plus de rafler les abonnés des chaînes payantes existantes, il ne paierait en plus aucune taxe à l’État ni ne financerait les créations originales.

 

Des craintes à tempérer

 

Il serait toutefois intéressant d’aller au-delà de ces propos pessimistes. Si l’on regarde les pays où Netflix est bien installé comme les États-Unis ou le Royaume-Uni, on peut constater que ce service de vidéo à la demande n’a pas cannibalisé les autres chaînes payantes. Par exemple, HBO aux États-Unis ou BskyB au Royaume-Uni maintiennent leur nombre d’abonnés. Toutefois, il apparaît que la croissance de ces chaînes ait été happée par Netflix – les futurs abonnés pourraient préférer sans doute Netflix aux autres offres du marché2.

 

D’autres offres similaires existent en France. Des entreprises telles que VideoFutur (Netgem) ou FilmoTV (Wild Bunch) proposent des plates-formes de vidéo à la demande par abonnement sur le même modèle que Netflix, mais elles se retrouvent limitées par leurs moyens. Canal+ a également lancé son offre appelée CanalPlay Infinity ainsi qu’Orange avec Orange Cinema Series (qui comprend la série à succès Game of Thrones), mais ces dernières sont loin de Netflix dont le catalogue comprend plus de 100 000 films et séries.

 

Par ailleurs, il existe des start-up françaises telles que VodKaster qui ont trouvé une solution pour contourner la chronologie des médias tout en proposant des films récemment sortis au cinéma via une plate-forme numérique. Ce service permet de télécharger des films à partir de DVD pour ensuite les revendre sur une marketplace – l’utilisateur paie donc au film pour un prix fixé par le revendeur.

 

Il semblerait cependant que seuls 11 % des Français connaissent déjà Netflix3. Les acteurs français conservent leur avantage dans l’Hexagone – Orange Cinema Series a déjà séduit 2 millions d’abonnés tandis que Canal+ a 10 millions d’abonnés sur lesquels s’appuyer. L’arrivée de Netflix aura sans nul doute pour effet de bousculer l’écosystème audiovisuel français dont la réglementation conservatrice sera à revoir pour permettre aux acteurs de l’Hexagone de résister au géant américain.

 

Vers le tout numérique : une certitude

 

Au cœur de ces changements, le seul constat incontesté est que nous avançons vers le tout numérique. Les créations audiovisuelles doivent être pensées pour une multidiffusion transmédia pour ce qui est des plates-formes et des formats (télévision, tablette, smartphone, VOD), la question des formats de fichiers vidéo, des infrastructures informatiques et des réseaux demeure centrale. Il devient donc primordial de former des techniciens qui puissent répondre aux attentes d’un marché qui est en passe d’être bousculé avec l’arrivée de nouveaux acteurs – pouvoir s’adapter rapidement serait la clé au changement.

 

Sources :